Les impacts environnementaux de l’agriculture et de la nutrition font l’objet de discussions approfondies. Cependant, selon un trio de chercheurs internationaux, les méthodes d’analyse les plus courantes ignorent souvent des facteurs cruciaux. La méthode la plus courante pour évaluer l’impact environnemental de l’agriculture et de l’alimentation est l’analyse du cycle de vie (ACV). Les études utilisant cette méthode montrent parfois que l’agriculture biologique est pire pour le climat car elle produit des rendements inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle et nécessite donc plus de terres pour produire une quantité donnée de nourriture. Une étude, par exemple, est arrivée à cette conclusion Communication naturellece qui a été rapporté par de nombreux médias, dont la BBC.
Cependant, selon les trois chercheurs français, danois et suédois, cette application de l’ACV est beaucoup trop simple et ignore donc les avantages importants de l’agriculture biologique. Les chercheurs ont analysé une série d’études ACV.
L’analyse du cycle de vie fournit une image limitée
– Nous craignons que l’ACV ne donne une image trop limitée, ce qui pourrait conduire à de mauvaises décisions politiques et sociales. Lorsque l’on compare l’agriculture biologique à l’agriculture intensive, on constate des impacts plus larges qui ne sont pas suffisamment pris en compte par les méthodes actuelles, explique Christel Cederberg de Chalmers.
Par exemple, la biodiversité est cruciale pour le fonctionnement et la stabilité de nos écosystèmes. Mais la biodiversité est en déclin dans le monde entier et il a été prouvé que l’agriculture intensive est l’une des principales causes de tendances négatives telles que la perte d’insectes et d’oiseaux. Dans une lettre ouverte au magazine Écologie naturelle et évolution a récemment appelé 65 scientifiques à agir dans le domaine agricole pour conserver et restaurer les populations d’insectes.
À l’échelle mondiale, l’agriculture occupe plus d’un tiers de notre superficie, les liens entre l’agriculture et la réduction de la biodiversité sont donc extrêmement importants.
– Notre analyse montre que les études ACV actuelles prennent rarement en compte l’impact sur la biodiversité et ignorent donc les bénéfices de l’agriculture biologique. Des études antérieures ont montré que les champs biologiques ont une biodiversité environ 30 pour cent plus élevée que les champs conventionnels, explique Marie Trydeman Knudsen de l’Université d’Aarhus au Danemark.
Pesticides non pris en compte dans le calcul
Les pulvérisations intensives constituent un autre problème. Entre 1990 et 2015, l’utilisation mondiale de pesticides chimiques a augmenté de 73 pour cent. Les résidus toxiques dans le sol, l’eau et les aliments peuvent nuire à la santé humaine et aux écosystèmes terrestres et aquatiques et entraîner une perte de biodiversité.
Aucun pesticide chimique n’est utilisé en agriculture biologique. Mais peu d’études ACV en tiennent compte.
Un autre facteur à prendre en compte est l’érosion des sols et la réduction de leur fertilité causée par des pratiques agricoles non durables – également un facteur rarement pris en compte dans les études d’évaluation du cycle de vie. Par conséquent, les avantages des méthodes biologiques, tels qu’une meilleure rotation des cultures et une nutrition naturelle des plantes, sont souvent négligés.
Ce qui est crucial, c’est que l’analyse du cycle de vie évalue l’impact environnemental par kilogramme de produit. Il favorise l’agriculture intensive, qui peut avoir un impact moindre par kilogramme de produit mais un impact plus élevé par hectare de terre.
– Avec LCA, vous n’incluez que le rendement total dans le calcul. De ce point de vue, il est bien entendu vrai que l’agriculture intensive produit souvent de meilleurs résultats. Mais ce n’est pas tout si l’on considère l’écosystème agricole dans son ensemble. Un paysage agricole varié avec des champs plus petits, davantage de haies et de murs en pierre et de nombreuses cultures différentes apporte d’autres avantages, par exemple une biodiversité plus élevée, explique Hayo van der Werf de l’institut de recherche INRAE en France.
L’analyse du cycle de vie basée sur les produits ne saisit pas non plus les nuances des systèmes agricoles agroécologiques, dont l’agriculture biologique est un exemple, qui reposent davantage sur des processus naturels et s’adaptent aux écosystèmes locaux. Selon Christel Cederberg, l’analyse du cycle de vie nécessite une méthodologie plus sophistiquée.
Suppose que la demande reste inchangée
Une autre lacune est la prise en compte d’hypothétiques « effets indirects ». Par exemple, l’hypothèse selon laquelle le rendement inférieur de l’agriculture biologique peut automatiquement entraîner une augmentation des émissions de dioxyde de carbone en raison d’une demande accrue de terres pouvant conduire à la déforestation. L’évaluation de ces effets indirects est problématique.
– Prenons par exemple la demande croissante de viande biologique. Les études ACV traditionnelles supposent que la consommation totale de viande reste inchangée et que de plus grandes superficies sont donc nécessaires. Mais les consommateurs motivés à acheter de la viande biologique pour des raisons environnementales et éthiques sont également susceptibles d’acheter moins de viande. Il n’existe pratiquement aucune étude sur ce type de comportement de consommation, il est donc actuellement très difficile de calculer les effets de tels changements sociaux, explique Hayo van der Werf.
– Les méthodologies et applications actuelles de l’ACV ne sont tout simplement pas suffisantes pour évaluer les systèmes agricoles agroécologiques tels que l’agriculture biologique. La méthode doit être développée davantage et liée à d’autres outils d’évaluation environnementale afin d’obtenir une image plus équilibrée, estime Christel Cederberg.
Article scientifique :
Pour une meilleure représentation de l’agriculture biologique dans l’analyse du cycle de vie. Durabilité dans la nature
Contact:
Christel Cederberg, professeur adjoint au Département des sciences de l’espace, de la terre et de l’environnement, Chalmers, [email protected]
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